La non-violence gandhienne peut être considérée à la fois comme une éthique et comme une tactique au service de l'émancipation anticoloniale. Sans prétendre en faire une analyse historique ou politique, en voici les principaux concepts
Ahimsa : ne pas nuire
Le terme "ahimsa" désigne en Inde un refus de nuire à tout être vivant, quelqu'il soit. Cette éthique est une condition de la libération spirituelle menant au nirvana. Assumée par les brahmanes et par les adeptes du jaïnisme, cette non-violence repose sur la conscience de l'unité de tous les êtres dans un univers infini au devenir cyclique.
Gandhi pratiqua l'hindouisme
toute sa vie et voyait dans toutes les religions autant de chemins
possibles pour atteindre la Vérité. Il puisait son inspiration
dans la Bhagavad Gîta .
Cet épisode du Mahâbhârata est un
des écrits fondamentaux de l'Hindouisme. Il est considéré comme un
« abrégé de toute la doctrine védique »
Au début de la grande guerre entre les Pandavās, et les Kauravās. Arjuna, un des cinq Pandavas et
Krishna - qui se fait le cocher du char d'Arjuna afin de le mener au
combat - sont sur le champ de bataille de Kurukshetra entre les deux
armées prêtes à combattre. Arjuna doit annoncer le début des
combats mais, voyant des amis et des parents dans le camp opposé, il
est désolé à la pensée que la bataille fera beaucoup de morts
parmi ses proches, oncles , cousins . Il se tourne alors vers Krishna
pour exprimer son dilemme et demander conseil. En réponse, Krisha
explique que tout être est lié par son destin (karma) et que pour
accomplir son devoir dans la sérénité, il doit se détacher des
objectifs poursuivis, être indifférent au succès ou à l'échec de
son action. Ce renoncement permet d'échapper au samsāra,
le cycle des renaissances. En clair, le guerrier peut parfaitement,
dans ce cadre éthique, mener le combat, puisque sa position sociale,
destin déterminé par le cycle des renaissances, l'y oblige mais il
devra se détacher moralement des buts poursuivis et discipliner son
esprit et son corps afin de se libérer des passions.
Gandhi dont l'éducation est fortement occidentalisée, bien que sa mère fut une dévote vishnouiste, accède aux textes sacré de l'hindouisme à travers des adeptes de la théosophie. C'est donc une à lecture fortement influencée par le syncrétisme religieux des théosophes qu'il se livre.
Ce qui l'amène considérer que son engagement concerne toute l'humanité. Issu de la caste des marchands, Gandhi se préoccupe du sort des intouchables qu'il considère comme "fils de Dieu". Sa non-violence, qu'il adopte radicalement comme discipline personnelle, n'est pas absolue : il préfère la violence, mise au service des opprimés, à la lâcheté ou à l'impuissance. Elle n'est pas non plus une forme purement individuelle d'ascétisme, mais aussi une pratique sociale qui s'exprime dans le "satyagraha" ou "la force née de la vérité", autrement dit la lutte concrète pour abolir la violence dans le monde.
Satyagraha : "force de la vérité"
Cette transposition sociale de l'éthique non-violence fait problablement l'originalité de la démarche gandhienne. Gandhi comptait beaucoup sur la capacité de persuasion induite par l'acceptation de la souffrance résultant de la non-rétorsion au mal subi mais cet idéalisme est charpenté par un sens tactique aigu.Concrètement la lutte non-violente prend les formes suivantes :
- non-coopération : qui repose sur le constat que tout pouvoir injuste tire sa force de l'assentiment passif des dominés. La non-coopération retire cet assentiment, fragilisant ainsi le pouvoir
- désobéissance civile : c'est à dire le non-respect des lois injustes mais assorti de l'acceptation délibérée de la sanction.
La non-coopération se concrétisa, en Inde, par le boycott de l'économie anglaise. Pour Gandhi, l'inde doit se suffire à elle-même, son développement économique doir reposer sur uniquement sur les ressources locales, et en particulier sur les artisans et les paysans. Dès lors, il refuse tout produit industriel importé par les Anglais exhortant ses adeptes à se vêtir du khadi traditionnel, de préférence tissé par eux-mêmes, plutôt que les vêtements importés de Grande-Bretagne. Sa position anti-industrielle n'est pas dictée par une technophobie irrationnelle, comme on a pu le croire, mais par une vision à long terme d'un développement progressif durable et autocentré.
La "marche du sel", depuis Ahmedabad vers Dandi où des milliers d'Indiens se joignent à une marche de 400 km vers la mer afin de ramasser leur propre sel, est une réponse au monopole colonial de la production et de la commercialisation fortement taxée du sel. Ce geste, hautement symbolique, signifie sans équivoque le refus de l'autorité coloniale. Cette campagne avait pour fonction de structurer le mouvement d'indépendance, de la canaliser aussi car, impatientes, de nombreuses voix s'élevaient en faveur de la rébellion armée.
Au plus fort de la guerre mondiale, le congrès national indien lance la campagne "Quit India" ou Gandhi encouragea les militants à agir comme s'ils appartenaient à une nation indépendante et ne plus suivre les ordres des britanniques, et à refuser, entre autre, toute participation à l'effort de guerre britannique. La répression massive ne fit qu'accentuer le mouvement et à susciter des émeutes. La campagne "Quit India" accentua cependant les divergences entre hindous et musulmans. Ces derniers, favorables à la partition de l'Inde promise aux Musulmans par les Anglais, se montraient plus réticents à participer à cette campagne de désobéissance civile.
Le
Congrès national indien était aussi traversé de contradictions
internes : Subhas Chandra Bose leader politique de
Indian Independence League, une des composantes politiques du Congrès
national indien, n'était pas partisan de la non-violence et
sympathisait avec les forces de l'axe. Jawaharlal Nehru quant
à lui, avait une vision socialiste, progressiste et moderniste de
l'Inde, prônant son industrialisation sur le modèle des plans
quinquennaux soviétiques. La Ligue musulmane était encouragée par
les Britanniques
dans sa volonté de créer un état musulman séparé et bien qu'elle
participa activement à la lutte du Congrès national indien, il
obtint la partition de l'Inde et la création de l'état pakistanais,
au prix d'une séparation douloureuse de la population.
Par ailleurs, si les hagiographes de
Gandhi attribuent à la stratégie non-violente le succès de
l'indépendantisme indien, l'analyse historique oblige à des
conclusions plus nuancées. Le nationalisme hindou avait
historiquement une composante armée non négligeable et par
ailleurs, la guerre mondiale 40-45 avait diminué affaibli l'empire
britannique et diminué la capacité des anglais à contrôler leurs
colonies.
La volonté de Gandhi d'unification de
l'Inde, réunissant en une seule nation hindous et musulman, irritait
les nationalistes hindous et ce fut l'un d'entre eux, Nathuram
Godse, lié au mouvement fascisant Hindu Mahasabha, qui
l'assassinat le 31 janvier 1948. Godse tenait Gandhi pour
responsable de la partition de l'Inde
et par là de son affaiblissement
Gandhi, un modèle pour l'Occident ?
La
pensée sociale et éconmique de Gandhi s'articule autour du concept
de "home rule" ou d'autonomie locale, qui implique un
modèle de développement autocentré, reposant sur les ressources
locales et adoptant une attitude critique à l'égard du modèle
occidental, industriel, mondialiste et capitaliste. L'importation en
Inde des produits manufacturés de Manchester avait réduit à la
famine des milliers d'artisans indiens. Sa critique repose aussi sur
une éthique du renoncement au désir exacerbé par la société de
consommation que les puissances occidentales imposent au monde.
Gandhi s'était
fait le défenseur des intouchables, sans caste exclus de tout
rapports sociaux avec les castes, mais il ne remettait pas en cause
la différenciation sociale inhérente aux castes, distinguant
simplement l'aspect sacré, selon la tradition hindoue, des quatre
castes traditionnels dit varna, de l'institution sociale, qui peut
être réformée, des catégories socio-professionnelles (jati) et
des interdits qui leur sont imposés. Ainsi Gandhi se révèle
beaucoup plus conservateur qu'on ne le pense généralement, sa
révolution étant essentiellement un retour à une forme ancestrale,
imaginée et idéalisée, de la société indienne. Le refus de la
technologie moderne, la valorisation de l'économie rurale et de
l'artisanat, la promotion de l'autonomie locale, celle des villages
et des communautés de base, au détriment des structures étatiques
centrales, va dans ce sens. Prônant un gouvernement fortement
décentralisé, la pensée politique gandhienne pourrait être proche
de l'anarchisme, visant une société démocratique non-violente
formée de villages fédérés.
La
non-violence gandhienne, appliquée à une politique de résistance
anticoloniale, ne fut pas sans influence sur les mouvements
nationalistes et indépendantistes du tiers-monde, elle n'est pas
sans influence sur le pacifisme occidental d'entre-deux-guerre et sur
divers mouvements sociaux : Martin Luther King, Nelson
Mandela, Steve Beko, Aung San Suu Kyi s'en s'ont réclamé. Romain
Rolland popularisa l'oeuvre de Gandhi en France.
Un peu avant la
guerre 40-45, Lanza del Vasto effectue un voyage aux Inde et y
rencontre Gandhi. Le récit de
cette rencontre se trouve dans son "Pélérinage aux
sources"...de retour en France, Lanza del Vasto s'attache à
fonder une communauté d'inspiration gandhienne - la communauté de
l'Arche - tout en développant une pensée s'inspirant clairement de
la non-violence gandhienne mais se rattachant à une vision
chrétienne teintée de traditionnalisme religieux.
Les mouvements pacifistes
et d'objection de conscience tirent se réfèrent aussi aux
techniques de résistance civile mises en oeuvre en Inde. Jean-Marie
Muller a théorisé ce mode d'action. La désobéissance civile fait
aussi l'objet de débat, dans le champ juridique comme en philosophie
politique. John Rawls consacre d'importants chapitres de sa "théorie
de la justice" à ce sujet.
Les
conceptions sociales de Gandhi préfigure aussi les critiques
radicales du productivisme industriel et les mouvements dits de
"décroissance" ou de "simplicité volontaire".
Sélection de quelques documents
oeuvre de Gandhi
- Autobiographie ou Mes expériences de vérité / M. K. Gandhi ; ; traduit d'après l'édition anglaise par Georges Belmont ; présentation et notes de Pierre Meile . - Paris : Presses Universitaires de France , 1964 - 921 GAN - disponible au PHARE et à Uccle Centre
Biographies
- Gândhî ou l'éveil des humiliés : biographie / J. Attali . - éd Fayard, 2007 - 921 GAN - disponible à Uccle-Centre et Homborch
- Gandhi athlète de la liberté / Catherine Clément. - Paris : Gallimard, 1989. - 921 GAN - disponible au PHARE (section adulte et jeunesse), à Uccle-Centre (section jeunesse)
- La vie du Mahâtma Gandhi / par Louis Fischer ; trad. de l'américain par Eugène Bestaux . - Paris : Pierre Belfond , 1983 . - 921 GAN - disponible au PHARE
- Ce que Gandhi a vraiment dit / Jean Herbert. - Verviers : Marabout, 1974.- (Marabout Université ; 250 ). - 140:92 GAN - disponible au PHARE
récits et témoignages
- Le pèlerinage aux sources / Lanza del Vasto. - Paris : Gallimard, 1980 . - (Folio;). - 91.0(540)
pour jeunes et enfants : en section jeunesse
- Gandhi & son temps / Marylène Bellenger ; direction artistique Daniel Vignat . - Paris : Fontaine : Mango , 1997 . - 921 GAN - disponible au PHARE et Uccle-Centre
- Gandhi / Rédacteurs en chef : Christopher Dobson et Jacques Lapeyre . - Trélissac : Chronique Dargaud , 2004 . - (chroniques de l'Histoire). - 921 GAN . - disponible à Homborch jeunesse
- Gandhi : une âme pour la liberté / par José Féron Romano et Judith Abehsera.- Paris : Hachette Jeunesse , 1998 . - (Le livre de poche. Jeunesse. Senior ; 656 ). - 921 GAN - disponible au PHARE, jeunesse.
- Gandhi : la liberté en marche / Irène Frain . - Boulogne : Timée , 2007 . - 921 GAN - disponible au PHARE, jeunesse
- Gandhi / Brigitte Labbé, Michel Puech ; illustrations de Jean-Pierre Joblin. - Toulouse : Milan , 2006. - (De vie en vie ; 20 )
- Après Gandhi : un siècle de résistance non violente / Paris : Editions du Sorbier , 2010. -
médiathèque : au Point culture
- GANDHI : film de ATTENBOROUGH, Richard - dvd - VG0823
- GANDHI - FIN D'UN EMPIRE - Série LES CHOCS DU SIÈCLE n° 5. - N/B. - HACHETTE, 1988. - VHS seulement : TH1415
- GRANDS DESTINS 1: APÔTRES DE LA PAIX: GANDHI, MARTIN L. KING - Roger COLOMBANI . - BFM, 1999. - CD audio : HD2110
- SATYAGRAHA : opéra de Philip GLASS - inspiré de la vie de Gandhi .- ARTHAUS MUSIK DVD, 1985. Enregistrement 1983.. - disponible en CD et en DVD : XG366K
sites web
les écrits de Gandhi (en anglais,
hindi ou gurajati ) sont disponibles en ligne à :
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